La série Shin Megami Tensei (made in Atlus) est une des sagas RPG les plus importantes au Japon. Reconnue pour ses scénarios polémiques, ses ambiances singulières, et sa difficulté élevée, elle a eu bien du mal à s'exporter hors des frontières du Japon. Souvent mise en avant vis-à-vis de ses thèmes abordés (apocalypse, critique de la religion, etc), la censure l'a frappée à plusieurs reprises sur le territoire américain (notamment les Persona). Shin Megami Tensei III : Nocturne (rebaptisé Lucifer's Call chez nous) quant à lui, est le premier MegaTen à avoir atterri dans nos boutiques européennes.
SMT III fonctionne un peu comme un Pokemon sur le principe (en très "dark" ceci dit). Pour former une équipe solide, il est nécessaire d'engager une multitude de démons aux côtés du personnage principal, histoire de composer une équipe solide. Cela se caractérise par une petite séance de dialogue pas toujours fructueuse déclenchée en combat. Ces même démons, pour suivre le niveau du héros (qui augmente bien plus vite) devront régulièrement être fusionnés avec d'autres bestioles dans une cathédrale des ombres pour créer un allié plus puissant. Le délire est vite addictif. Cependant, si vous êtes un accro de WII sport (ouuh le méchant cliché ^^), méfiez-vous, Lucifer's Call est un jeu old school de part sa difficulté plus que conséquente. Les niveaux sont longs, durs, bourrés d'ennemis, et surtout blindés de pièges en tout genre (ceux qui téléportent le personnage un peu partout sont particulièrement énervants), les boss sont quant à eux incroyablement robustes, nécessitant souvent plusieurs game over pour déceler leurs faiblesses (le bourrinage ne fonctionne pas toujours dans SMT III, certains ennemis ne seront sensibles qu'à une façon de combattre bien précise).
Précisons-le, Lucifer's Call est un jeu atypique, qui s'écarte fondamentalement des standards du J-RPG traditionnel et son heroic-fantasy sauce manga imprégné de niaiserie exaspérante. Il nous invite à nous plonger dans un background sombre, torturé, glauque, parfois dérangeant. Le graphisme dévoile une image diffuse, des couleurs nuancées, les monstres rencontrés ont une apparence troublante, parfois paradoxale (avoir à affronter le panthéon angéologique judéo-chrétien reste assez surprenant) l'ambiance laisse croire à un mauvais rêve duquel on aurait du mal à s'extirper, mais émane une expression noire et malsaine qui détient un charme indéniablement accrocheur. Le chara-design de Kaneko contribue d'ailleurs grandement à cela. De son côté, l'OST soutient magistralement ce caractère troublant, enrobée d'une mélancolie poignante sans pour autant oublier d'émettre quelques subtiles notes d'espoir. L'histoire est cela étant bel et bien le point essentiel de SMT III: une secte occulte secrète menée par un PDG d'une puissante entreprise a déclenché la destruction du monde dans l'idée de reconstruire la civilisation sur des bases plus saines. L'un des professeurs de lycée du héros (le joueur), allié à cette logique apocalyptique décide de nous sauver de cet évènement majeur, affirmant que nous avons un rôle à jouer dans le nouveau monde qui se créera. Et quel rôle ! Le héros n'est autre que le semi-maudit, l'individu qui décidera de la nature qu'adoptera la terre lors de sa renaissance.
Ceci dit, le monde est placé provisoirement dans une dimension intermédiaire, rongé par le chaos et la souffrance et emplie de démons qui luttent pour faire valoir leurs idées dans une Tokyo dépravée. Pour accomplir la "Conception", il est nécessaire avant tout de créer un dieu, une divinité qui façonnera l'empreinte du monde selon la vision des choses de l'invocateur. C'est pourquoi de multiples individus s'affronteront pour prouver la supériorité de leur "Raison" sur celle des autres. Le joueur sera confronté à chacune des philosophies en question, et devra faire un choix évidemment crucial, en vue d'une des 6 fins différentes. Faut-il créer un monde d'inertie dans lequel les hommes vivraient dans une harmonie absolue mais pourtant stérile ? Faut-il éliminer tous les surplus d'impureté et de corruption qui souillent la civilisation moderne pour n'en garder qu'une élite intellectuelle ? Au contraire, paraît-il plus judicieux d'élaborer une société autonome dans laquelle l'individu n'est rien, ne vis que pour lui, et néglige la présence d'autrui ? Plus fataliste, l'être humain apparaît-il comme irrémédiablement mauvais, au point d'en laisser son univers sombrer dans le chaos et l'annihilation ? Aucune des idéologies parsemant le jeu ne sont ni vraiment bonnes ou mauvaises. Lucifer's Call évite de tomber dans le manichéisme primaire, il met en avant un panel d'individus attachés à leurs convictions, à un rêve précis devenu leur raison d'être, et prêts à tout pour arriver à leurs fins au détriment des moyens. L'œuvre d'Atlus invite à un questionnement métaphysique introspectif intéressant poussant le joueur à se mettre à la place du personnage principal, et à raisonner sur plusieurs de thèmes de réflexion bien précis.
En bref, un RPG vraiment énorme qui retourne les tripes. Avis à ceux qui recherchent quelque chose de différent dans le jeu vidéo, le dépaysement est garanti.
Editeur : Ubisoft
Développeur : Atlus
Type : Jeu de Rôle
Sortie France : 30 juin 2005
(12 octobre 2004 aux Etats-Unis)
Classification : Déconseillé aux - de 12 ans